Résumé
Le groupe Rotana, propriété du prince saoudien Walid Ben Talal, est un acteur central et ambigu de l’industrie musicale arabe depuis les années 1980 dont l’histoire est fragmentaire. Plus qu’un simple label dont on pourrait établir un son et une esthétique, c’est un groupe audiovisuel inséré dans une vaste holding liée aux formes de capitalisme dans le Golfe. Rotana est un acteur qui va durablement ancrer le fonctionnement de la musique dans une ouverture (ou une dépendance, dans une perspective plus critique) à d’autres secteurs économiques et impacter d’autant les formes de carrières des artistes (repensées sous forme d’achat/vente et de véritables mercato) comme de production des titres. Créé en 1987 dans une petite économie de la cassette, avant d’être racheté par un prince médiatique et ambitieux qui en fera un acteur régional de poids dans une économie du vidéoclip, Rotana représente un « stade » (pour reprendre le terme de Mike Davis) de la production de musique pop mainstream. Cet article s’efforce d’en déterminer les lignes de force, en adoptant notamment une perspective relationnelle tirée de la sociologie de Pierre Bourdieu et en montrant combien Rotana est un modèle en soi – de monopole à franges, financiarisé et subsidiarisé. Il s’agit aussi de comprendre le mystère de la pérennité de cet acteur, et comment ce modèle semble perdurer jusqu’à maintenant, combien il a même eu un effet socialisateur sur les artistes, et finalement à quel titre Rotana, malgré toutes les critiques dont il fait l’objet, reste encore à ce point incontournable même à l’ère du streaming.
